Bernard Dejonghe, des signes pour écouter le Monde
Bernard Dejonghe: 'forme brève 6'
Avec ses oeuvres en 2011, Bernard Dejonghe nous a invité à "Écouter le monde" au Musée de la civilisation celtique de Bibracte. Vous pouvez revoir cette exposition en cliquant sur la photo.
Passer des haches du néolithique, des meules vives ou dormantes, des opidum celtes, à une civilisation ouverte sur la nature et l'humanité, voilà un chemin intérieur que nous tentons de parcourir dans notre pratique des arts martiaux. Retenus pas nos désirs de gloire, nos peurs du danger ou du ridicule, nous apprenons les techniques, l'efficacité, et un regard plus vaste nous échappe comme dans une fumée. Regarder sans se lasser les pièces façonnées par Bernard Dejonghe, pour y entrevoir une réponse: je voudrais la partager avec vous.
Le "classique du chemin de la Vertu" me semble un chemin escarpé. Avec bonheur, Zhuang zi greffait un peu d’ironie au Dao De Jing à propos de Chaos, la mère des dix mille êtres.
« Le roi de la mer du sud s'appelait Forme, le roi de la mer du nord s'appelait Sans forme et le roi du Centre s'appelait Hundun, le non agir. Forme, appelé Shu, et Sans forme, aussi appelé Hu, rendaient souvent visite à Indistinction, que l'on nommait Hundun, le petit chaos, qui les recevait avec beaucoup d'aménité.
Forme et Sans Forme, désirant lui exprimer leur reconnaissance, dirent à l'Indistinct: « Tous les hommes ont sept orifices qui leur permettent de voir, d’entendre, de manger et de sentir ; vous seul en êtes dépourvu. Si nous vous percions ces orifices ? »
Chaque jour Forme et Sans Forme lui perforèrent un orifice.
Au septième jour…, Hundun mourut. »
Nous apprenons des techniques d'arts martiaux qui nous sont transmises par des guerriers, des samouraïs, pour qui l'enjeux était vital, pour qui l'efficacité au combat primait toute considération. Nos Maîtres eux même, Me Arbus, Me Lorenzi, avaient connu la guerre et l'avaient vue à l'oeuvre. Ces techniques ont été polies par des décennies de conflits, nous les recevons comme des armes venues d'un autre âge mais qui ont fait leurs preuves.
Partant des jitsu, les budo ont trié, sélectionné, les techniques qui restent propres à nos nouveaux objectifs de progrès. Ces objectifs tournés vers notre profit, incluent le respect de l'intégrité de nos partenaires, et s'élargissent au bénéfice de toute la société dans laquelle nous vivons.
Éloignés de leur sens d'origine, les techniques que nous travaillons à acquérir, restent difficiles à appréhender.
A vouloir tout absorber d'un coup, on a du mal à comprendre...
Je compare nos techniques aux haches à gorge du néolithique: leur forme était parfaite, tirant le meilleur de la pierre, et atteignant leur but. Aujourd'hui'hui, elles nous touchent par leur beauté. La violence primitive de leur forme n'a pas perdu de leur message. Les grès à qui Bernard Dejonghe donne cette forme, puis le feu des fours de son atelier leur couleur, sont des témoins puissants.
Partir des armes polies par l'homme au néolithique est un début solide. Notre katana parviendra peut être à trancher notre ego. Les mouvements du bokken empruntent la liberté du ciel, les projections du judo celles de la sphère. Mettons au mur les haches à gorges, parfaites et rouges, pour le souvenir de nos débuts. Bernard Dejonghe nous en fournit la couleur.
Bernard Dejonghe nous invite ensuite à regarder la montagne: abandonner la surface et la couleur...
En prenant un autre point de vue, nous accédons à un ciel étoilé.
Je prends ces blocs de verre brut pour des formes parfaites, dégagées de leur fonction matérielle, elle nous montre un chemin qui vient après la guerre. Notre corps a cette même réalité primitive, dans laquelle nous taillons des moments de beauté, par la danse, par le rythme, pour lui donner une place dans l'univers, enflammé de notre respiration comme par le feu des fours.
Imaginez dans ces blocs de verre chacun de vos mouvements, net, suspendu mais définitif dans leur précision. Si vous cliquer sur l'image, la vidéo vous donnera une piste matérielle sur leur origine et leur sens. Pour l'un d'eux, Bernard Dejonghe a laissé dans l'élipse une gorge marquant la place de l'homme, partie de l'univers mais pas ordonnateur. Dans un bloc de verre, fragile, mais de poids. Pouvons nous prendre dans notre mental cette liberté ? vide ? transparent ? acéré mais fragile ? Lancé dans son orbite, notre corps n'a plus rien à justifier que d'être, de marcher dans les pas du sculpteur vers les dunes du désert, parcourir le Ténéré à la recherche des météorites fécondant le monde, des flèches polies par le sable et le temps.
Il nous reste à polir notre miroir comme la face de ces blocs...
et s'il y avait un grain de sable ? un reste ancien de hache ? de vieilles querelles d'enfance ? comme la ville des Celtes, tout serait à refaire !
Il nous faut connaître des formes parfaites, pas pour être efficace, mais pour écouter le monde.
Avec une plume de verre. le porteur de clé A.T.