cinq kimono du Cercle sportif à Speyer avec Waldemar Legien
du 28 février au 2 mars 2014, trois jours d'entraînement de haut niveau avec des sportifs internationaux et leurs entraîneurs, Waldemar Legien, double champion olympique (1988 et 1992) et champion d'europe, Larbi Ben Boudaoud champion du monde 1999 et médaille d'argent olympique 2000. Alienor, Louis et Laure y étaient, accompagnés de Dominique et Hratch. Laure nous raconte...
Vendredi 28 février 2014.
Le jour du départ est arrivé : aujourd’hui, nous prenons la route en direction de Speyer pour aller participer à un stage international de judo qui durera trois jours. Notre équipe de choc se compose de nos deux coaches, Dominique Juillet et Hratch Demirdjian, et de trois élèves: Aliénor, Louis et moi-même. Une fois arrivée (légèrement en retard, n’est-ce pas…) au point de rendez-vous, et installée à l’avant de l’Audi verte de Dominique, je suis envahie par le doute : reviendrai-je en un seul morceau de ce voyage ? Nous retrouvons les autres, quelques minutes plus tard. Personne ne paraît effrayé à l’idée d’aller affronter des compétiteurs internationaux, et cela, bien entendu, m’angoisse davantage.
Mais la route se passe au mieux : Hratch, qui a pris la place de copilote, enchaîne les blagues, tandis que nous jacassons allègrement à l’arrière. Dehors, le temps est maussade, et tout le monde se réjouit de ne pas être parti en moto. Nous parlons judo, entre autres, et Aliénor me raconte ses précédents stages : moi qui avais réussi à calmer mon anxiété, je sens la tension m’envahir de nouveau ! Mais, après tout, on verra bien ! Après une centaine de kilomètres, nous nous arrêtons sur une aire d’autoroute pour déjeuner ; un poulet ou un steak haché et des légumes aux couleurs surprenantes composent notre festin. Puis nous reprenons la route, l’estomac plein, pour ne plus nous arrêter avant notre destination finale.
Contre toute attente, et malgré mon léger retard du matin, nous arrivons en avance. Il fait déjà nuit. Dehors, la pluie s’est arrêtée depuis longtemps et le climat s’avère bien plus accueillant du côté allemand de la frontière. Nous sommes les premiers sur place, aucun autre club n’est encore là. Le premier entraînement a lieu une heure plus tard. Le temps pour moi d’aller fumer quelques cigarettes – riche idée – et, pour nous tous, de visiter le dojo et les alentours. Aliénor, germaniste devant l’Eternel, est la seule qui peut réellement communiquer avec nos hôtes, car Dominique, Hratch, Louis et moi ne parlons pas allemand. Mais tout le monde semble très sympathique. Sur le tatami, alors que nous attendons l’arrivée de nos co-stagiaires, des enfants s’entrainent de manière relativement dynamique. Oh non, ces gamins n’ont pas du tout l’air de plaisanter ! Ils occupent la moitié du tapis qui est immense ; on y caserait facilement cinq (ou peut-être même dix !) tatamis comme le nôtre ! Les mesures me reviennent de manière approximative, mais comprenez que la surface qui nous est réservée est très vaste ; en regardant cela, on s’attend à voir débarquer tout un régiment de judokas. Et, environ une heure après notre arrivée, les athlètes arrivent effectivement en nombre. Venus de différentes régions d’Europe, ils se succèdent à l’entrée du dojo, avec leurs gros sacs de sport, et se pressent en direction des vestiaires dans un brouhaha enthousiaste. Au milieu de toute cette agitation, je fais la connaissance de Jiovanni (oui, oui, avec un J), un judoka, qui m’explique être venu avec l’équipe de Jacky, un ami de Dominique et – je m’en rendrai compte par la suite – un ami de tout le monde ! Ce jeune homme me semble sympathique et civilisé : mes craintes s’estompent temporairement. C’est donc d’un pas assuré que je me rends vers le vestiaire. Aliénor est déjà en kimono, tout comme Dominique, Hratch et Louis. A croire que le manque de ponctualité vous poursuit au-delà des frontières ! Je me change, puis je me dirige vers le tapis. Premier salut, celui de l’inauguration du stage ; le moment serait presque solennel. Nous sommes sans doute deux cents judokas, agglutinés autour du tapis, en train d’écouter le discours d’ouverture prononcé en allemand. Soudain, la voix s’arrête. « Mokuso ». Rires. « Rei ». Nous saluons. Le stage est ouvert.
Les échauffements se succèdent à un rythme effréné, et sur une longueur de tapis infinie ! Les exercices, tous plus inventifs les uns que les autres, s’enchainent. Louis s’en sort comme un chef, Aliénor est au top, et je rame, bien entendu. De la course à la brouette à cloche-pied, en passant par des portés spectaculaires, nous tentons tous de suivre le rythme cadencé que nous imposent les coaches. Et il me semble bien que c’est dur pour tout le monde ! Je croise les regards de Dominique et de Hratch, presque hilares, sur le bord du tatami ; oui, disons qu’ils nous « encouragent » de loin… !
Après les échauffements, nous commençons par des exercices de ne-waza que j’exécute avec Aliénor. Waldemar Legien, alias Waldeck (champion olympique et champion d’Europe) nous montre l’exemple, tandis que Larbi Ben Boudaoud (champion du monde et champion d’Europe) passe dans les rangs pour nous corriger. L’ambiance est sympathique et techniquement, c’est très intéressant. J’ai perdu Louis de vue depuis la fin de l’échauffement, il a sans doute trouvé un partenaire allemand, suisse ou luxembourgeois. Nos coaches ne sont pas loin et interviennent parfois pour nous aider. Mais suite à ces petits exercices – ludiques, pourrions-nous dire – nous passons à la phase « randoris ». Commence alors pour moi un moment relativement singulier : après avoir subi une défaite cuisante face à une jeune fille ceinture verte, j’enchaine sur un combat très éprouvant – sorte de mise à mort ne-wazéenne – face à une ceinture noire. Les mots me manquent, tout comme le souffle me manquait sur le moment, pour décrire ce combat ! Je suis retournée, soulevée, écrasée, étranglée, prise en clés, etc. sans pouvoir me défendre. Cet affrontement est très pénible, et j’ai l’impression de trépasser lentement pendant ces cinq minutes. Lorsqu’enfin retentit le signal de la fin du randori, je parviens difficilement à serrer la main de ma partenaire, effondrée, puis je décompense totalement ! Larmes, suffocations, etc. Du grand moi, quoi ! Dominique, qui est à quelques pas de moi, me lance, plein d’empathie : « là, j’ai quand même l’impression que c’est dur ». Effectivement, Dominique a l’œil. Je me relève et, totalement désemparée, je croise le regard de Guiseppe, un monsieur en kimono d’un certain âge, qui se présente à moi comme une sorte de sauveur. Un signe de la Providence, quoi ! Il me prend sous son aile. Aliénor, qui est un peu plus loin, assure à fond et confirme sa réputation d’excellente judoka au sol. Elle étranglera d’ailleurs sans scrupule celle qui m’a presque tuée, quelques minutes plus tôt ! Merci à elle !
Je tiens d’ores et déjà à préciser, et ceux qui me connaissent le savent, que j’ai un don pour l’exagération et une passion pour l’envolée lyrique : ne croyez surtout pas que ce stage est une boucherie. Il s’agit juste d’un évènement sérieux, regroupant des athlètes de haut niveau, venus s’entrainer en vue de prochaines compétitions. Et, à Speyer, grâce à l’exemple de ces judokas, j’ai juste compris que l’on n’a rien sans rien !
Mais pour en revenir à ce premier entrainement, alors que les randoris au sol s’achèvent, et que les combats debout commencent, je suis toujours au fond du trou et en larmes. Guiseppe, mon nouvel ami, me propose un randori tranquille avec lui : me sentant peu à peu rassérénée, j’accepte. Tout se passe plutôt bien, j’essayer d’y aller doucement. De loin, je vois Louis, dont la ténacité est impressionnante : derrière des dehors très discrets, il ne lâche rien et enchaine les randoris avec beaucoup d’énergie. Je ne vois plus Aliénor, mais je ne me fais pas de souci pour elle, je sais qu’elle a le niveau pour faire face à des adversaires de taille. Après le randori avec Guiseppe, je rencontre une jeune fille ceinture noire et cela se passe mieux : j’ai toujours été plus à l’aise debout qu’au sol.
Un signal sonne la fin des randoris. Nous nous étirons, puis nous mettons tous en ligne, éreintés par ce premier entrainement. Pas de « Mokuso », cette fois-ci.
« Rei ! »
Au vestiaire, c’est l’explosion : des filles partout, qui se bousculent pour accéder aux six douches dont nous disposons. Je décide – pas bête – d’attendre que tout le monde soit passé pour m’y rendre. Et là, bien entendu, c’est la douche froide. Non. Gelée, en réalité.
Nous dinons ensuite dans le dojo ; la nourriture est correcte. Guiseppe, mon sauveur, nous propose tout un panel de tours de magie avec de petites cordelettes. Personne ne comprend, d’ailleurs, pourquoi il en possède autant dans son kimono ! Au bout d’une bonne trentaine de tours de passe-passe, je sors fumer une cigarette. Guiseppe, qui fume aussi, me suit. L’ambiance devient étrange. Il m’invite à le suivre vers sa voiture ; interloquée, et surprise, j’y vais. Oui, oui, un peu stupide aussi… ! Mais, en réalité, rien de bien méchant : il m’offre gentiment une primevère, et en prend une seconde qu’il rapporte à Aliénor! Là non plus, personne ne comprend pourquoi Guiseppe a toute une collection de primevères sur la banquette arrière de sa voiture. Mais enfin… Nous sommes enchantées par ce petit cadeau! A la fin du diner, tout le monde rentre ensuite à l’hôtel, situé non loin de là, à quelques minutes en voiture.
Il fait froid. Nous rejoignons nos chambres. Aliénor et moi partageons un lit superposé. « Bonne nuit ». Une petite partie de Candy Crush puis nous tombons dans un profond sommeil.
Deuxième jour. Première étape : réveil. Seconde étape : sortir du lit. J’ai mille ans !
Samedi 1er mars 2014.
Le saut du lit s’avère très périlleux ; mon ossature menace de se briser en mille morceaux au moindre de mes mouvements. Une vague impression de maladie de l’homme de verre… Mais je parviens à m’extirper du petit lit superposé, sans aucun maintien postural ; je ne sais même plus si je trouve la force de prendre une douche. Je revois seulement les deux pauvres primevères, déjà en état de décrépitude avancé, sur la petite table ronde qui constitue le seul mobilier de notre chambre. L’épreuve insurmontable de la descente des escaliers vers le restaurant est quant à elle pour toujours gravée dans ma mémoire ! Les jambes me tirent, c’est effroyable. Et cette douleur dans les mollets… Absolument effroyable… Mais qu’importe, je suis tout de même bien contente d’être ici ! Au restaurant de l’hôtel, je retrouve mes co-stagiaires, surpris de me voir avec le sourire (Dominique me confiera plus tard son étonnement concernant ma bonne humeur ce matin-là, après l’épreuve fatale de la veille). Questions habituelles. Bien dormi ? Oui. Enfin non. Mal partout. Donc au menu : sourire, certes ; multiples plaintes aussi. Normal. Vraiment mal partout. Deux entrainements aujourd’hui. Tout le monde a l’air en forme. Bon dieu.
Je me dirige d’un pas franchement lourdaud vers le buffet ; il y a du jus d’orange (infecte), du pain, des céréales, de la confiture, du Nutella (enfin une sorte de pâte au chocolat qui ressemble à du Nutella). Je prends de tout ! En quantité très importante, s’il vous plait ! Je suis surexcitée en chargeant tout cela sur mon plateau ! Quel bonheur, ce repas pantagruélique pour commencer la journée ! C’est une vaine tentative de compenser la douleur intenable, bien sûr. Mais quel délice. Je m’empiffre comme une folle : le chocolat me remplit de joie ! Cette petite mascarade me ferait presque oublier que, d’ici une heure, je serai de retour sur le tapis immense, entourée de tous ces athlètes, mais sans doute à nouveau très seule ! Après m’être délectée de toutes ces douceurs, je relance avec une clope ! Et voilà, quelques préparatifs plus tard, je me retrouve à l’arrière de la voiture de Dominique, avec mes équipiers. Louis, Hratch et Dominique sont en place, prêts à partir, mais Aliénor tarde à arriver, ce qui, apparemment, excède Dominique. Mais elle apparait enfin, tout sourire ! En route ! Alors que nous démarrons gaiment, je confie à Aliénor mon sentiment de douleur diffuse et mon impression de lourdeur généralisée, sans doute due au petit déj’ à volonté. Oui, durant tout ce séjour, j’aurai élaboré essentiellement sur trois sujets : la météo, à la limite du tolérable selon moi, mes douleurs et la nourriture. Le discours d’une petite vieille, en somme… Ma co-stagiaire, habituée à mes plaintes incessantes, mais qui fait preuve d’une patience extraordinaire, me répond sans doute avec légèreté que tout est normal.
Contrairement au premier entrainement, nous arrivons en retard. Pas de ma faute, cette fois-ci, je tiens à le souligner solennellement ! Nous sommes tous en ligne pour le salut. ‘Moxo’. Toujours pas compris. Rei. Le cours commence. Echauffements : cf premier jour, rien n’a changé ! Ah, si : il y a les courbatures en plus ! Par la suite, nous travaillons debout, c’est un soulagement infini. J’exécute les exercices avec Aliénor, comme toujours. J’ai le sentiment de la bloquer un peu, mais je suis effrayée à l’idée de travailler avec quelqu’un d’autre : cet endroit est rempli de maboules ! Tout le monde travaille avec sérieux les exercices que Larbi Ben Boudaoud nous propose : il s’agit, pour tori, – comment décrire cela… – de mettre uke en déséquilibre en le faisant valdinguer autour de lui… tout passe par les bras et le positionnement, mais sans aucune force. Encore quelque chose qui m’échappe. C’est assez technique. Je considère ma performance à cet exercice comme lamentable ; Aliénor se débrouille mais tout cela n’est pas folichon… Je ne sais pas où se trouve Louis mais Hratch et Dominique ne sont pas très loin de nous, et ils interviennent pour nous donner des conseils. Je suis passablement agacée par leur bienveillance puisque je n’y arrive pas. Il se pourrait bien que les larmes ne soient pas loin ! Mais, finalement, tout se passe bien durant la partie technique. Technique suivante : morote. Larbi vient nous faire remarquer qu’il faut « plier ses cannes », et nous trouvons cette formulation amusante. Je pense à toute la terminologie énigmatique que j’apprends durant ce stage : par exemple, le verbe « tirer » change totalement de définition sur un tatami, les jambes deviennent des « cannes », et un pansement s’appelle un « strap » (bon, en anglais, je connaissais, hein!) Et à force de rêvasser à toutes ces âneries, j’ai de plus en plus de mal à me concentrer sur l’objectif premier de cet entrainement : réussir les mouvements. Autour de nous, le niveau est décidément très élevé, la plupart des participants portent d’ailleurs un dossard indiquant nom, pays et catégorie de poids. Ceux-là réussissent tout comme des chefs. Après la partie technique, nous passons aux randoris. Premier combat au sol : je passe mon tour en évitant soigneusement de me faire remarquer par Dominique qui m’attend au tournant pour laver l’affront du premier jour. Alors que je suis désœuvrée sur le bord du tapis, Guiseppe s’avance vers moi. Pourvu qu’il ne me propose pas à nouveau son spectacle de magie épuisant. Mais pas de cordelette en vue. Nous discutons de choses et d’autres, sans grand intérêt ; mais je commence à saisir l’état d’esprit de ce drôle et je ne suis plus trop persuadée que ses intentions soient totalement saines ; il me confiera plus tard avoir des rapports intimes avec sa bouteille d’eau pétillante. Un homme étonnant. Puis je croise Jiovanni, mon second prétendant, qui m’explique ne pas avoir dormi de la nuit pour cause de « sortie en boite jusqu’à quatre heures du matin ». Il m’invite ensuite à participer à la fête de ce soir, qui sera l’occasion pour lui de me « draguer », selon ses propres termes. Je récolte un succès foudroyant auprès des individus les plus pénibles, c’est agaçant. Lorsqu’arrivent les randoris « normaux » (comprenez, debout), je me précipite à toute allure vers des filles pour les inviter. Moi ? J’exagère ? Absolument pas ! Je fais quelques combats qui se déroulent bien, et je crois même que je parviens à marquer quelques points (bon, au moins un sur tai-otoshi!)
L’entrainement du matin se termine tranquillement ; nous rentrons déjeuner. A la table qui jouxte la nôtre se trouve une équipe de joyeux lurons qui hurlent je ne sais plus quelles paroles de cantonade abjecte. Et ils répètent inlassablement ce refrain odieux. Bien entendu, ce sont des amis de Jiovanni. Nous mangeons correctement, si mes souvenirs sont bons et, à table, tout le monde y va de son petit commentaire sur la séance du matin et sur la nourriture. Hratch et Dominique font des plaisanteries, qui ont pour objet central ce pauvre Jiovanni et sa singulière odeur corporelle ou encore une jeune luxembourgeoise blonde au physique peu avantageux. Aliénor et Louis discutent judo et je m’empiffre allègrement. Après le repas, une bonne clope bien méritée, puis une sieste ! Les autres partent visiter Speyer, la ville dans laquelle nous nous trouvons, mais je n’ai pas la force de les suivre. Et puis j’ai bien l’impression qu’il n’y a pas grand-chose à voir, dans cette bourgade. On nous avait promis le Pérou, monts et merveilles et même un spa, mais, à part une vague exposition de coucous d’avant-guerre, il n’y a rien ! Non, non, je vais me coucher. Deux heures plus tard, Aliénor vient me réveiller puis nous partons vers le dojo. Il est seize heures et je commence légèrement à en avoir plein les pattes ! Nul besoin de décrire l’entrainement de l’après-midi, analogue aux deux précédents. Mais je dirais juste qu’il se passe très bien, pour moi et pour Aliénor et Louis, je crois. D’ailleurs, un grand bravo à Louis pour le magnifique ippon qu’il inflige à un Suisse lors de cette séance ! Je n’ai pas vu les randoris d’Aliénor, mais je sais qu’elle s’en est bien sortie aussi.
Après l’entrainement, nous nous rendons au réfectoire de l’hôtel. Je tiens à préciser que, suite au cinéma que nous ont imposé les jeunes chanteurs en herbe durant le repas du midi, il est désormais hors de question de parler de « restaurant ». D’ailleurs, tout fout l’camp, comme on dit. Etant trop épuisée par trois entrainements de suite, je décide de tenter le direct-to-dinner en kimono, et j’embarque Louis dans cette idée stupide. Nous sommes bien sûr les seuls à ne pas être en tenue de ville. Les gens nous regardent bizarrement, et il me faut quand même quelques minutes pour comprendre que nous avons l’air de deux losers… Mais, oh, qu’importe ! Aliénor, Hratch et Dominique nous accompagnent au début du repas puis s’en vont rapidement car ils vont diner avec tous les coaches. Louis et moi, pauvres malheureux, n’avons pas nos entrées et nous restons là, abandonnés, comme deux pauvres petites bêtes en kimono. Nous en profitons pour discuter : Louis, un garçon très discret, et moi, une hystérique tout droit sortie d’une séance d’hypnose chez Charcot. Les discussions promettent d’être intéressantes ! Mais, en réalité, on s’entend bien. N’est-ce pas, Louis ? Quoiqu’il en soit, nous ne tardons pas à monter nous coucher après avoir fini de diner. Nous sommes éreintés. Sur le chemin vers la chambre, je prends soin de ne surtout pas croiser le regard de Jiovanni qui m’attend de pied ferme pour la soirée. Il me faut un petit quart d’heure pour ouvrir la porte, j’entre, je me douche en quatrième vitesse, puis je me couche. Je vous épargne le passage sur l’altercation qui a lieu avec mes voisins luxembourgeois qui ont décidé de sortir en boîte, non sans un before-dans-chambre-mal-insonorisée-avec-musique-assourdissante. Bon allez, si, je vous raconte ! Je bondis en petite tenue hors de ma chambre, au comble de l’énervement, le cerne noir, la narine dilatée par la rage et le cheveu hirsute, et j’arrive en trombe devant le dortoir des luxembourgeois : la porte est ouverte et ils sont là, tout mignons, assis. Ils n’ont pas plus de dix-huit ans, les pauvres. Ils me regardent tous d’un œil inquiet, se demandant sans doute qui est cette vieille gourgandine affolée. Je me tiens figée, l’œil écarquillé et l’index levé vers le ciel, il ne me manque plus qu’un filet de bave au coin de la bouche. Je retiens mon souffle, prête à hurler. Rencontre du troisième type. Ils se taisent. Je me ravise. I’m sorry guys, could you just turn the music off, because I’m trying to sleep, ok ? Have a good night, thank you. Oh yes, of course, no problem. Ils sont désolés pour moi, bien entendu. Puis je repars, après cette intervention grotesque. Cette fois-ci, je me couche. Il est environ vingt-deux heures. Je dormirai jusqu’à huit heures du matin.
Dimanche 2 mars 2014.
C’est aujourd’hui qu’a lieu le dernier entrainement. Aucun commentaire sur l’état somatique des troupes. Au plus mal, à l’évidence. Je dirais que je décide de m’économiser au maximum. Si bien que je n’ai pas grand-chose à raconter sur cette ultime étape. L’entrainement se passe bien. Cette dernière matinée sur le tapis est surtout l’occasion pour moi de réaliser tout ce que j’ai appris durant ce stage. Outre les techniques sportives que j’ai pu découvrir à l’occasion des échauffements, des phases techniques et des randoris, cette expérience m’a appris des choses sur moi-même. Eh oui, voici la séquence émotion où l’écrivaine se livre sans retenue aux lecteurs, pendus à sa verve et tremblant de … bon, d’accord, j’arrête cette ambiance ! Sérieusement, ce stage m’a permis de comprendre qu’il est utile, et souhaitable, de se dépasser, que rien n’est impossible et qu’alors même qu’on croit connaitre ses limites, alors même qu’on pense qu’il est impossible de se relever, on peut encore aller plus loin. Il y a beaucoup à apprendre de la discipline que représente le judo, pour quelqu’un comme moi et, je pense, pour tout le monde. Ce sport vous permet de vous mesurer aux autres, de pouvoir vous situer par rapport à eux, et de vous faire une place, dans la juste mesure du respect qu’on doit à autrui et qu’autrui nous doit. Je tiens à remercier tout particulièrement Dominique, qui m’a permis de participer à ce stage : un immense merci à toi pour tout, j’espère vraiment renouveler l’expérience, et merci de m’avoir comprise. J’ai le sentiment d’avoir progressé, tant au niveau sportif qu’au niveau personnel. Et merci à Hratch, à mes deux autres co-stagiaires, Aliénor, Louis : j’ai adoré vivre ce moment avec vous ! Vous êtes super, je vous aime tous !
To be continued... Laure