Guy Verrier, le judoka du défi

Guy Verrier prend la suite d'André Mercier au Dojo, Roger Arbus est son assistant et dirige les entraînements en son absence. Jacques Le Berre débute le judo à 15 ans avec lui.

Guy Verrier

 

 

 

Guy Verrier fait partie des pionniers du judo français, ce que nous rappelle des traces sur internet et l'interview de Guy Verrier par Claude Thibaud (Les pionniers du judo français, Budo Ed  2011 p279): Guy Verrier débuta la pratique du judo au Cercle Sportif de Ju-jitsu, 17, rue Mesnil à Paris en 1943 avec Jean Andrivet comme 1er professeur qui lui donna alors le goût de la compétition. "C'est par timidité qu j'ai commencé le judo". Il fut champion de France Junior en 1946, avec la ceinture bleue en battant Pierre Roussel en finale. En 1947, il devint le 65e français à obtenir la ceinture noire. En 1948, il acquit le titre de champion de France toutes catégories, en battant en finale Jean de Herdt "J'avais la foi... et le culot de ceux qui n'ont rien à perdre".  Me Kawaishi "je pense qu'il m'estimait beaucoup. Nous avons effectué ensemble de nombreux déplacements en province lorsque Me Shozo Awazu est arrivé en France. Il m'a encouragé à étudier des techniques en contre, pour utiliser le mieux possible ma vitesse naturelle. De plus, en 1952, il m'a nommé capitaine de l'équipe de France, de celle qui allait devenir championne d'Europe.". A 24 ans, il est champion de France toutes catégories, champion d'Europe toutes catégories et par équipes. Il mit fin à sa carrière de judoka en 1953, avec le niveau de 4e Dan remis précédemment par Maitre Mikinosuke Kawaishi.

Guy Verrier était considéré comme un judoka à la rapidité foudroyante (avec un Hane-goshi ultra-rapide) alliée à une force étonnante (108 kg pour 1,80m).  "Verrier, il a tellement subi les terribles balayages de Pierre Roussel qui'il est devenu champion des contres pour ne plus tomber" a dit l'un des pionniers. Guy Verrier répond à Claude Thibault "Il y a un peu de vrai dans cette anecdote. Pierre Roussel était très rapide et pour le contrer il fallait être plus rapide que lui. Les anciens comprendront la difficulté du challenge! Je me suis beaucoup entraîné à maîtriser les attaques de mes adversaires et à enchaîner rapidement, soit en contre, soit avec d'autres mouvements, comme de-ashi-barai, que j'affectionnais particulièrement. C'est la rapidité, inattendue chez un judoka lourd, qui me fit gagner beaucoup de combat". Roger Arbus nous rappelait ses nombreux entraînements avec Guy Verrier et la pratique des balayages au Club.

Festival Kawaishi 1949

 

 

 

 

palmarès festival Kawaishi

 

 

 

    Il a été ensuite professeur de ski nautique et moniteur dans une école de conduite... puis est devenu chef-développeur et pilote d'essai chez Alpine de 1963 à 1966 pour les projets M63, M64 et A210, et par la suite directeur de la Fédération française du sport automobile durant les années 1970. Il est décédé en octobre 2019 dans sa 91ème année (il était né le né le 28 juillet 1928 à Salins-les-Bains dans le Jura) à Cancun au Mexique, où il s’était retiré.

Michel Brousse nous dit dans « Les racines du Judo français » (P U de Bordeaux 2005) à la page 298 : il fait partie des ambassadeurs infatigables du judo français, ils contribuent à son rayonnement en France comme à l'étranger. ... Gilbert Amourette, Gilles Maurel à Madagascar, Jean de Herdt en Belgique et en Hollande, avec Guy Cauquil et Guy Verrier, …

Un événement de l’histoire est aussi raconté par Michel Brousse à la page 244 : Le sacrilège

« Celle qui porte le plus atteinte à l'« esprit judo» tel qu'il se définit alors est sans conteste l'exhibition d'un *judoka* lors d'une rencontre entre catcheurs. En 1952, Guy Verrier remporte le championnat de France et le championnat d'Europe. Suite à ses victoires, il est contacté par un organisateur de spectacles sportifs pour affronter sur un ring des lutteurs professionnels. Il accepte la proposition et provoque un émoi sans précédent dans le milieu du Judo. On ne lui pardonne pas d’exhiber sa ceinture noire de la sorte. Il est «démissionné» de la fédération de Judo et du collège des ceintures noires. Son expérience est de courte durée. Les sommes promises ne lui sont pas versées. L'ancien champion veut réintégrer le judo. Il écrit à Jean-Lucien Jazarin pour expier sa faute. »

mea culpa de Guy Verrier

 

 

 

 

 

 

 

A la suite de ce mea culpa, le comité directeur du Collège, réuni en séance le 21 mai accepte la réintégration de Guy Verrier.

Roger Arbus, nous confie l'histoire du dojo d'un air jubilatoire, aurait bien mis la main dans ces contrats iconoclastes, fait d'accords bancals suivis de contentieux sans grands résultats sonnant et trébuchant. "Les dirigeants du catch plaident son 'insuffisance physique'. Ce qui fait dire au juge: 'Je ne comprends pas. Vous dites que Guy Verrier n'avait pas les qualités physiques nécessaires à un combattant, mais je vois dans son dossier qu'il a remporté 43 victoires sur 43 matchs disputés. Qu'aurait-il fait s'il avait été de force normale?" (Cl. Thibault ib. p483). Il y a un peu de la farce populaire dans toute cette histoire, certainement loin du sérieux que Jean-Lucien Jazarin souhaite pour le judo dans "l'Esprit du judo" (Budo ed. 1997 p211) "Un combattant... s'est tordu de souffrance sur les tatamis en poussant des cris de douleur. J'étais gêné pour lui, pour le public, pour le judo." Il interroge un jeune judoka japonais de 11 ans sur la différence qu'il voit avec la Japon ""Eh bien, ce qui me frappe en premier, c'est que si un accident, petit ou grand, se produit, le blessé manifeste par beaucoup de gestes ou de cris sa souffrance, s'arrête, et reprend quelquefois. Au Japon, ce n'est jamais comme ça. Si le Judoka a mal et qu'il puisse continuer, il continue sans rien dire. S'il ne peut pas continuer, il va à l'hopital!... le reste est à peu près comme au Japon.".

Plusieurs éléments se mêlent: les professeurs de judo de l'époque ont besoin de vivre de leur activité... l'histoire se poursuit-elle ? Me Kawaishi avait conservé une vision assez japonaise de son 'école': "Toi, pas encore ceinture noire, pas assez payé".

Le judo avait conservé le goût de 'l'extraordinaire' comme celui avec lequel André Mercier présente une initiation au judo pour des acteurs de l'Opéra en 1942 (article précédent). La 1ère grande soirée de catch de Guy Verrier au Palais des Sports passe après la principale attraction: "la présence de Sunny war cloud, authentique chef indien, qui allait apparaître coiffé de plumes, en poussant des cris de guerre". Ces souvenirs ont-ils disparu lorsque certains attendent d'une victoire de Teddy Rinner en kimono bleu aux Jeux olympiques qu'elle relance la pratique du judo en France?

Cette confrontation de Guy Verrier avec le catch n'est pas sans rappeler l'irruption du JJB dans les combats libres en 1990, voyons ce qu'en dit l'histoire tissée sur la toile:

"Royce Gracie, né le 12décembre1966, a révolutionné les arts martiaux dans des années 1990, en introduisant les techniques du jiu-jitsu brésilien enseignées par sa famille dans les compétitions de MMA, et en remportant, lors des premières éditions de l'Ultimate Fighting Championship, des combats contre des adversaires beaucoup plus lourds que lui et venant de styles très différents. Son style particulier — il combattait en kimono (keikogi) — et ses techniques à base de combat au sol, soumission, clefs articulaires et étranglements, dont il a montré l'efficacité face aux écoles traditionnelles de combat aux poings, ont contribué à changer la philosophie des matchs de combat libre par la suite. Royce est un membre de la famille Gracie, famille fondatrice du jiu-jitsu brésilien. Il est le fils de Hélio Gracie, fondateur originel, avec son frère aîné Carlos Gracie, de la version brésilienne du jiu-jitsu traditionnel, importé par le japonais Mitsuyo Maéda dans les années 1920 au Brésil."

Cette démarche n'est pas isolée dans l'histoire des judokas comme le rappelle Michel Brousse (ib. p211) à propos de Me Kawaishi "En plus des cours de judo,sous le pseudonyme de 'Matsuda', il n'hésite pas comme la plupart des judoka japonais dans son cas, à monter sur scène pour affronter boxeurs et catcheurs". Réponse de Kawaishi à Henry Plée "Oh, il y a si longtemps que je ne me rappelle plus de rien."... et contre le champion du monde Jack Dempsey? "Ce n'était pas un combat, simplement une démonstration..."

La confrontation au catch rapportée par Michel Brousse est importante car il témoigne du changement qui s'est opéré des Jitsu aux Do Dao , et pour les associations de notre dojo, du Cercle sportif de Jiu-Jitsu (23/04/1946) au Cercle sportif de Judo (11/06/1959), même si André Mercier clarifie déjà en 1942 "Le nom même de Jiu-Jitsu est tombé en désuétude. La nouvelle génération ne connaît que le Judo. Ce qu'il est exactement?: Une arme redoutable, un sport amusant et plein d'entrain, la plus rationnelle des cultures physiques."

Une définition où se reconnaissent -le mental -la recherche des techniques -la circulation des énergies du corps, mais dans la formulation André Mercier mêle le mythe d'un samouraï intérieur avec une initiation divertissante et le besoin de santé du corps.

Il nous reste, et sans doute toujours dans notre société, à passer du -faire et acquérir à -l'être et devenir en chemin.

Pour poursuivre le débat ouvert par Guy Verrier, le porteur de clé A.T.