KIME, le Départage

Etait-ce hier, un doigt pointa sur mes mouvements qui jamais n'arrivaient jusqu'à mon partenaire, ...sur un Kime inavouable ou sur la propre crainte de mon déchaînement ?

               Kime-no-kata, l'image de sa forme en Judo, revivait à l'instant avec son odeur violette, celle qui m'était contée depuis longtemps des moments incertains où tout peut basculer, le kata des décisions où tout est en jeu, l'enjeu, la résolution qui mobilise le corps entier.

Kime: l'image familière du karate, celle qui resurgit en Judo pour nous entraîner à accomplir nos mouvements jusqu'au bout, sans balbutier ni excuse ni remous.

Quoi, un emportement! venir troubler l'harmonie du kata qui se poursuit, serein comme le temps... Kime, et après? visait-on le contrôle, celui du karateka,? le carré immobile des cinq principes d'O Sensei?

Kime

                La paix des dictionnaires me montre dans le caractère Kime (en Chine: Jué) la clé de l'eau complétée de la main qui saisit une partie du tout (et vide, creuse, évacue), donc décide, partage comme l'eau se partage à la rupture d'une digue, suggérant une rivière qui fait irruption hors de ses berges. créer le vide pour laisser la voie au torrent, le sien, celui du partenaire... 

La première image est celle du flot qui emporte, se précipite, ouvre une brèche et rompt d'un mouvement vigoureux, résolu, déterminé, décisif.    Portant plus loin peut être le regard, le 'Grand Ricci' signale un sens ancien, le flot qui épuise sa vigueur épandue dans la plaine, celle d'un "jeune homme sans expéricence", voire celle du "thé qui infuse", sans doute l'après, contenu déjà dans la première image.

L'histoire est-elle maintenant écrite en entier?

               Au patrimoine mondial de l'Unesco s'inscrit une autre histoire, celle du mandarin Li Bing, magistrat du royaume de Chu, envoyé en 256 av JC par l'empereur Qin pour sauver les habitants de Dujiangyàn des inondations catastrophiques et des désordres du ciel.    Li Bing, aidé de son fils, après avoir longuement observé la rivière Minjiang, décida de l'épuiser au pied de la montagne en semant, sinueuse, des îles sur son cours, puis de barrer son lit de solides gabions de galets et de bambous, juste en aval de la grande prise d'eau en bouche de poisson, celle du canal creusé dans le roc et irrigant toute la plaine.       En fin d'hiver, le flot ainsi endigué déverse sa crue par dessus les gabions, et ralenti, ayant déposé ses sables, irrigue sans excès le canal, auquel il réserve, pour l'étiage de plein été, ce qu'il faut de courant.   Depuis ce temps et pour 2250 ans, ce réseau d'irrigation ne cesse de se développer, aussi ingénieux que crucial pour ces jardiniers du Sichuan.

Li Bing a remporté la seule vraie victoire, celle qui dure et se poursuit, s'adaptant aux saisons, épargnant et nourrissant les forces de l'homme.

                                    Ce pourrait être la forme de mon échange, mesuré à l'énergie du mouvement d'Uke, décisif à la source de son mouvement - plongé dans le vide qui le précède, contrôlé au sommet de la force qu'il apporte - absorbé dans le gouffre qui s'ouvre, la pulsation dans l'histoire sans fin de 'l'échange-change'. Kime, un partage, vous donnez, vous recevez l'harmonie née du différent... y a-t-il d'autres choix?

                                   Questions         A. T.

"Entre

Le nuage  et l'éclair

Rien

Sinon le trait 

         de l'oie sauvage

Sinon le passage

             du corps foudroyé

                       au royaume des échos

Entre   "

              (François Cheng 'A l'orient de tout')