Wushu

Plusieurs averses sérieuses avaient créé un moment d’aparté avec le jeune guide de ma première visite à Pékin. Il avait appris le français à la radio. Nous étions totalement trempés dans les jardins du Temple du Ciel, mais des personnes âgées y chantaient des airs d’opéra. « Puisque vous aimez l’opéra, vous devez vous intéresser aux arts martiaux ! »

Zhou Ling Xia

Logique impériale, me dis-je.

Effectivement, je pratiquais le Judo. J-U-D-O…

-Ah, vous faites du Kung Fu.

Long fleuve jaune, où allons nous? Légèrement flatté de me glisser un instant dans la peau de Bruce Lee, je n’étais pas prêt à endosser l’habit de tous ces héros du cinéma de Hong-Kong. Une brève rébellion m’apporta qu’il y avait aussi des cuisiniers Kung Fu, c'est-à-dire très habiles, une position déjà  plus acceptable.

-Donc, vous faites du Wu-Shu.

Là, mon aimable interlocuteur a été inébranlable. J’aurai pu reconnaître dans la paume de ma main le tracé des caractères (prononcés au Japon Bu Jutsu), l’explication donnée pour Wu me convenait assez, le pied du soldat qui arrête sur une ligne derrière sa hallebarde, il faut de la vaillance au militaire pour arrêter l’ennemi, même derrière une arme;

Shu aussi, à la réflexion, une voie sur laquelle avancer, la main de la magie : les stratagèmes et techniques, « une pratique fondée sur l’observation naturelle des phénomènes et leur compréhension » dit le Ricci.

Il aurait pu m’expliquer que WuShu est le terme, qui, depuis 1949, désigne le développement sportif des arts martiaux en Chine, dans deux directions, l’exercice de la santé  et celui du sport d’autre part; que, depuis 1958, une Association nationale de WuShu organise de grandes compétitions nationales dans plus de 11 sections recoupant tous les pratiques d’armes et d’arts martiaux. 

Non, ce qui nous opposait résistait sur un point : il voulait bien admettre que  j’étudie sans relâche « saisies et projections » (comme je commençais à douter de la pertinence de nos deux vocabulaires, il en a presque fait l’expérience sur l’herbe humide), mais je devais naturellement, aussi, avoir conscience des autres pratiques, comme  j’étais redevable à  la respiration du TaiJiQuan, aux poussées TuiShou, aux déplacements BaGua et à une foule de cousins que je n’identifiais pas sur le champ.

En conséquence, nous nous sommes retrouvés en famille à l’aube suivante, dans un parc sur la rive d’un  lac. Un professeur avait accroché une bannière rouge et or au tronc d’un arbre et la leçon entraînait de jeunes pratiquants à lever le talon plus haut que le ciel, puis à adopter la posture du cheval MaPu plus bas que les tables. Plusieurs grand mères (d’une forme qui,  au Botswana, est qualifiée de constitution traditionnelle)  nous ont tout de suite accueillis parmi elles, pour manier l’épée du TaiJiChen, ce qui donna de grands éclats de rire. Et puis, tout cela s’est évaporé dans la circulation du matin, avec nos interrogations.

Faire sien un mouvement : Ueshiba Morihei a dit « Ikkyo, une vie », cela ne se fait pas par vagabondage sur le chemin, mais la communication et l’échange sont là pour le nourrir.                                                                                 

                 Alain TAINE